Black Metal – Quand le Metal devint Noir

Pierre Avril

Edition des Flammes Noires (2021)

« Peut-être apprendrez-vous une chose ou deux. Ce serait déjà une excellente chose. »

Voici les derniers mots de l’avant-propos de l’auteur, reflétant maladroitement et sans le vouloir sa faible motivation et sa maigre ambition vis-à-vis de ce premier tome sur le Black Metal dont on peine effectivement, une fois le livre refermé, à comprendre l’intérêt.

Mais pour commencer, qui est Pierre Avril ? Et de quoi parle-t-on dans son livre ?

Présentation de l’auteur et de son projet

Apparu récemment dans le monde du Black Metal via son blog « Le Scribe du Rock » créé en 2017, Pierre Avril n’en est pas à son coup d’essai en matière d’écriture. En plus de trois ouvrages co-écrits avec Adeline Wall et sortis en 2018 (deux romans ainsi qu’un essai sur GG Allin) on lui doit principalement deux écrits solos : Punk & Metal – Les liaisons dangereuses sorti en 2016 chez Camion Blanc, et un essai encore plus ancien : White Metal – Du bruit pour l’homme en croix, livre sur le Metal chrétien sorti en 2014 chez le même éditeur mais sous pseudonyme (Esychia Pneuma) suite à une « conversion » au Christ lors de sa vingtaine et son intérêt pour l’« Unblack Metal » par la suite [1]. Depuis 2017, en plus de publier régulièrement sur son blog des interviews dans tous les styles musicaux (Metal, Rock, Hip Hop, Noise, etc.), il a été un temps chroniqueur pour Metallian et l’Antre des damnés (un fanzine francophone sur le BM), et publia sur des supports moins conventionnels, comme en atteste sa « Brève introduction au black metal underground » dans la revue Le Bien Commun en octobre 2019, le nouveau mensuel de l’Action française [2].

Si passer du Metal chrétien au Black Metal a déjà de quoi surprendre, aborder tous les styles sans retenue et sur différents supports donne indéniablement à Pierre Avril la casquette de « touche-à-tout », avec évidemment le risque de s’éparpiller. Auteur plutôt qu’acteur, sa fiche Metal Archives fait uniquement recension d’une participation à un groupe de Thrash Metal en 2010 nommé Lapidation [3]. Bien qu’il dise avoir joué « dans des groupes plus ou moins régulièrement depuis 1985 » [4] rien ne semble ressortir de ce passé, même sur des sites de référencement généralistes comme Discogs. Hors Metal, il chante actuellement dans un groupe nommé Cagoule (« gothique electro ambient » [5]) et possède son propre projet expérimental nommé Punkosaur. Son éclectisme est plus qu’assumé puisque dans une interview accordée au webzine Horns Up en février 2017 il dit : « Je n’ai jamais aimé les chapelles et les cases, et je trouve qu’on a longtemps souffert de cela. » [6]

Cette présentation est nécessaire pour comprendre le principal problème de ce livre : son regard sur le Black Metal tient plus de celui d’un outsider que d’un insider, d’un non-spécialiste que d’un amateur éclairé. Nous allons y revenir en détails, mais les connaissances de l’auteur sur son sujet restent à la surface des choses, sont parfois erronées, et bien trop centrées sur son (petit) vécu personnel, souvent non-signifiant. En effet, aucune trace tangible de Pierre Avril dans le Black Metal avant 2017 et rien dans son témoignage ne le différencie d’un auditeur lambda. Plus regrettable, le style d’écriture relativement lourd de l’auteur pourrait être oublié si le fond en valait la peine, mais ce n’est pas le cas. Bien que le sommaire soit structuré, l’ouvrage n’a pas vraiment de colonne vertébrale et manque de cohérence. On alterne entre le point de vue de l’auteur souvent peu pertinent (dire qu’un classique est génial en utilisant dix superlatifs différents n’apporte pas grand-chose au lecteur) et la simple redite sur des éléments déjà largement connus du public sur tel ou tel groupe, souvent moins précis que Wikipédia ! Au final, ce livre n’apprendra presque rien au lecteur même tout juste familier du genre.

Un autre essai a souffert d’erreurs similaires il y a presque 10 ans : celui d’un certain Alexandre Guudrath en 2012, nommé Anthologie du Black Metal  [7]. Ce dernier, en plus de n’être qu’une compilation indigeste de chroniques, versait dans l’hyper-subjectivisme et le relativisme adolescent qu’on pourrait résumer par : « c’est mon avis, et si vous n’êtes pas d’accord, allez vous faire foutre et ne me lisez pas », ce que tout le monde a fini par faire d’ailleurs ! Pierre Avril semble verser dans les mêmes travers avec ce livre, l’arrogance en moins, heureusement. Certes, il le précise dès son introduction : « Il ne s’agit pas de se répéter. En effet, j’exprime mon avis, mes réflexions […]. C’est avant tout une approche personnelle que je tiens à mettre en avant ici » (p. 8). Pourtant, la répétition est bien là, et son avis ne nous apporte rien de plus. On reste en effet à des années-lumière des travaux de Dayal Patterson (que tout le monde connaît aujourd’hui), lui-même loin d’avoir fait le tour de son sujet d’étude ! La scène française en est un bon exemple.

Je ne parle pas de la scène française au hasard. Pour Pierre Avril, elle est précisément le projet de son « Tome 2 » sur le Black Metal. Sur cinq tomes au total ! En effet, si vous ne le saviez pas, son manuscrit de départ faisait près de 900 pages [4]. Comme il le précise dans une interview pour Metal’Art en 2021 : « Au départ, je voulais écrire un livre uniquement autour du phénomène post-black metal et du black expérimental. » [8] Cet ouvrage n’est donc ni plus ni moins qu’une introduction pour un travail futur, dont le BM français ne sera que la deuxième étape, et le post-BM un possible aboutissement. La barre est donc plutôt élevée ! Sauf que l’auteur prévient d’emblée : « Ne vous attendez pas ici à un effort d’objectivité. Je sais bien que c’est une chimère. » (p. 8) Le mot « effort » est le plus significatif dans cette citation. Comme chacun sait, un « recul absolu » n’existe pas, mais ça ne veut pas dire pour autant que tout est subjectif ! Il faut pouvoir trouver un juste dosage et arriver à sortir de sa zone de confort, nécessairement restreinte. Dans ce livre, des efforts pour se détacher de sa vision parcellaire des choses, Pierre Avril n’en fera que très peu. Il est tout de même obligé d’admettre une forme d’objectivité sur un album comme Under the Sign Of the Black Mark : « oui, en toute objectivité, les éléments du BM sont bien là. » (p. 26) mais aussi à d’autres endroits (« Au final, c’est un chef-d’œuvre, en tout objectivité », p. 176) preuve qu’elle est parfois nécessaire !

De manière générale, Pierre Avril fera très peu d’effort pour mettre sa personne de côté (c’est tout de même sa tête en couverture). Son relativisme se retrouve ainsi tout au long de l’ouvrage : « […] peut-être, nous découvrirons ensemble que le black metal n’existe pas vraiment, qu’il s’agit d’une chimère musicale semblable à la vision du monde des aborigènes d’Australie, qui pensent que notre vie est un rêve. » (p. 19), jusque dans la conclusion : « on ne peut pas délimiter un territoire pour dire où se niche et où s’est niché le black metal. » (p. 208) Pour un livre censé introduire quatre ouvrages sur le Black Metal et donc le définir, c’est plutôt osé de commencer par dire qu’on ne sait pas ce que c’est ! Mais alors, de quoi parle ce livre ?

De quoi parle ce livre ?

Il parle quand même de Black Metal, rassurez-vous. Mais pas n’importe lequel : celui que tout le monde connait. En plus de la facilité du net, les ouvrages sur le BM sont maintenant nombreux et pour beaucoup accessibles en langues françaises [9], si bien que celui-ci ne représente qu’un intérêt très limité au sein de cet ensemble. Ce n’est ni un ouvrage de travail (peu d’éléments nouveaux, peu de sources), ni un ouvrage de réflexion (presque inexistante), ni même un véritable témoignage de l’époque puisque aucune archive ni élément tangible du passé n’y figure. La seule chose que vous y trouverez de nouvellement développé : Pierre Avril. Pas tant son vécu que sa personne d’ailleurs, son avis étant suffisamment vague et ordinaire qu’on peine à y trouver un intérêt à la lecture. C’est un simple auditeur qui nous écrit ! Voilà d’ailleurs le deuxième problème du livre : l’omniprésence du « je » . Symptomatique. Beaucoup trop de passages sont à la première personne, sans raison (il n’est pas connu), ce qui n’empêche pas l’auteur de répéter à outrance qu’il est juste un « humble passionné », certainement pour désamorcer toute critique future. Exemple page 67 : « Je vais donc m’efforcer de poursuivre ma propre route, en toute humilité » ou page 209 : « en toute modestie, restant à ma place de scribe au service de l’art noir », jusqu’à la fin page 212 : « Je n’ai pas la prétention de réécrire l’histoire ou d’influencer qui que ce soit, simplement de témoigner. […] Ayez l’indulgence minimale devant un texte sans prétention autre que la transmission d’une passion authentique […] ». Sauf que l’absence de prétention ne se décrète pas, elle se montre ! Il en est de même pour l’authenticité, qu’on peine à cerner au vue de son profil. La première étape de l’humilité, c’est justement de réaliser que « sa propre route » n’intéresse personne ! A fortiori quand on est, dans le cas de Pierre Avril, un simple auditeur. Avoir écouté Bathory en 1986 ne fait pas de soi, de facto, une personne intéressante pour parler de BM, encore moins sur plus de 200 pages.

Une telle mise en avant de sa personne (son entrée dans le genre, ses autres passions) fait qu’on se retrouve avec énormément d’informations dispensables. Le livre se serait appelé Black Metal – ma vision du genre qu’il aurait été plus proche de la réalité, mais peut-être moins vendeur ! Tout se résume à cette phrase en conclusion : « ce témoignage n’a comme prétention que de dire que oui, j’ai vécu ces années-là et elles furent fondatrices pour moi, voici ce que j’ai à en dire. » (p. 209). Fondatrices pour quoi ? Son œuvre ? Sa musique ? Sa conversion au Christ ? On ne le saura jamais, la seule chose que l’auteur répétera à l’envie au long de ces pages, c’est qu’il était là, bien vivant ! C’est à peu près tout ce que vous apprendrez de son vécu, finalement ordinaire. Si vous cherchez des informations précises et nouvelles (au hasard, sur le BM), préférez d’autres livres. C’est déjà un gros travail de parler de soi, surtout quand personne ne nous connaît ! D’autant qu’il a des choses à dire Le Scribe : son premier album de BM, son premier concert d’Emperor, ses difficultés pour faire écouter Bathory à ses copains d’école (véridique, page 26), son amour pour notre seigneur Jésus Christ (pardon, ce n’est pas dans ce livre), que des choses importantes ! Si vous n’êtes pas content, c’est le signe que vous êtes jaloux ! Vous n’aviez qu’à l’écrire vous-même ce livre d’abord, bande de rabat-joie !

Taquinerie mise à part, n’exagérons pas le problème, Pierre Avril ne parle pas que de lui, il parle aussi de BM, et de manière relativement correcte pour son profil. Il a invité Christ Off de In Mortis Veritas et feu Prophecy pour sa préface (un vétéran de la scène française) et c’est l’incontournable Maxime Taccardi qui s’est chargé des (très belles) illustrations tout le long de l’ouvrage. On pardonnerai presque à l’auteur ses tournures enfantines et régulièrement ampoulées. Un exemple ? Ca démarre fort dès la page 8 (« je n’ai pas décidé d’aimer le black metal. C’est le black metal qui m’a choisi ») et ça n’arrête plus jusqu’à la fin, disons que c’est son « style » d’écriture. A défaut de colonne vertébrale solide (j’y arrive), le livre a au moins une trame narrative logique. Il se décompose en trois parties : la première (« Kyrie ») parle de la 1ère vague du BM, la deuxième (« Dies Irae ») de la seconde vague du BM, et la troisième (« Addendum entracte ») des débuts du BM mainstream, soit la fin des années 90. Trois sujets centraux du style ! Au sein de ces parties, la discographie de groupes (plus ou moins) importants est simplement déroulée dans l’ordre chronologique, de manière discutable mais nous y reviendrons. Pour respirer entre ces parties, en guise d’intermèdes, l’auteur y incorpore des interviews de son cru, cinq au total, de musiciens et acteurs de la scène. Ce seront les seuls intervenants « extérieurs » du livre, en dehors de quelques citations rapides (8 sources externes au total, citées en vrac à la fin, toutes issues d’Internet, dont deux de son propre blog). Le reste du temps, c’est Pierre Avril qui s’exprime ! J’y vois donc un troisième problème : presque pas de sources externes. A moins que Pierre Avril ne soit la source ultime… Notez que sa phrase de conclusion est ironiquement la suivante : « Restez à l’écoute et restez curieux et n’oubliez pas la lecture, c’est bon pour les neurones ! » Déjà, pas toujours ! Et dans son cas précis, ses lectures n’ont pas dû être centrales dans la préparation de ce livre, vu le vide abyssal de sources autres que lui-même. Cela dit, soyons magnanime, ce n’est pas le premier et ce n’est forcément problématique. Si l’auteur a du vécu et du talent pour écrire, à la manière d’un Eunolie par exemple [10], tant mieux ! Les sources, bien qu’appréciables, ne sont pas indispensables. Sauf qu’il n’y a dans ce livre ni vécu, ni talent particulier.

Le vécu sera incarné par les intervenants extérieurs. Le premier d’entre eux n’est autre que Ryan Förster de Blasphemy ! Un bon élève pour parler de la première vague, très bon début de livre et excellent intervenant. Le deuxième ne démérite pas non plus puisqu’il s’agit de Dayal Patterson. Lui donner la parole est logique vu que Pierre Avril fait un travail analogue, et Dayal a heureusement des choses à dire sur ses travaux. Néanmoins, en dehors d’un cirage de pompe un peu grossier (son « style » souvenez-vous), on remarque encore une fois le côté outsider du Scribe. Non, Dayal Patterson n’a pas écrit « LE livre définitif » (p. 62) sur le BM avec Evolution of the Cult. Rien n’est définitif. Le travail est bien évidemment colossal et reste le plus abouti à ce jour sur le BM (traduit dans pas moins de six langues lors de l’écriture de ce texte), mais il reste incomplet. Dayal n’a par exemple rien écrit sur Abigor (ils ont refusés), Summoning ou la scène autrichienne, il n’a rien dit sur Arckanum et son impact significatif, presque rien sur la scène US (Absu, Judas Iscariot, etc.), il n’avait rien dit sur Satyricon avant son ouvrage suivant, il n’a presque rien écrit sur Windir, bref, on pourrait multiplier les lacunes ! Et comment lui en vouloir ? C’est un travail bien trop important pour une seule personne ! L’intérêt est justement que chacun apporte sa pierre à l’édifice. Prenons deux livres au hasard : les ouvrages de Tero Ikäheimonen sur le Black Metal Finlandais [11] et de Daniel Lake sur la scène USBM [12], ils sont un prolongement essentiel des travaux de Patterson. Ni redite, ni résultat anecdotique : deux ouvrages importants de ces dernières années ! Qu’apporte le nouvel ouvrage de Pierre Avril ? On se le demande encore, tant il est précisément dans la redite et l’anecdotique. Comme le résume si bien une formule : on y trouve des choses neuves et intéressantes, mais ce qui est neuf est loin d’être intéressant, et ce qui est intéressant est loin d’être neuf ! Mais terminons de présenter l’intégralité du livre avant de rentrer un peu plus dans les détails.

Arrive une conséquence interview du leader de Nargaroth, figure encore contestée de la scène, mais très active et finalement incontournable de la deuxième (troisième ?) vague de BM. Soyons clairs : son intervention est peut-être la plus intéressante de tout l’ouvrage ! Ash est en effet rompu à l’exercice et sait développer sa pensée, mais il fait surtout preuve d’un grand recul sur ce milieu qu’il ne connaît que trop bien, possède un rapport au monde singulier et nous le fait savoir avec son style. Aucun doute, une belle interview ! C’est surtout avec les intervenants suivants que les choses se gâtent. Le quatrième est un groupe de… cinquième division : Cultus Sanguine. Groupe que personne ne connait, à raison ! Ni première vague, ni seconde vague, mélange bizarre sans forme et sans fond, ce groupe n’a strictement rien apporté au style et n’a influencé personne dans le BM, ni même Forgotten Tomb ou Shining, contrairement à ce qu’affirme Pierre Avril (p. 168) dans son interview. Mal renseigné, il suffisait pourtant de lire Dayal Patterson pour le savoir, les deux groupes ayant déjà été interviewés par lui. L’Italie a de toute façon toujours été un « mauvais élève » en terme de Black Metal (voire de Metal en général), malgré des groupes intéressants comme Mortuary Drape ou Forgotten Tomb justement, pourquoi ne pas parler d’une autre scène, ou ne pas interviewer directement ces groupes-ci ? Car en plus d’être un groupe secondaire dans une scène secondaire, Cultus Sanguine n’a absolument rien à dire d’intéressant, sauf à demander de s’abonner à sa page ! Pourquoi mettre en avant ce groupe au détriment d’autres plus méritants ? Ce n’est pas ce qui manque sur la période. Est-ce que ce sont les seuls groupes de cette époque à avoir accepté de témoigner pour son livre ? Est-ce que Pierre Avril croit réellement qu’ils sont importants ? Je ne sais pas ce qui est le plus regrettable des deux.

Le dernier intervenant n’est autre que l’OVNI Bal-Sagoth, groupe un peu oublié mais pourtant singulier dans le paysage BM, au kitch assumé, plutôt symphonique mais en réalité en marge du style car empruntant à tous les autres styles de Metal à la fois ! C’est une bonne idée de lui donner la parole, déjà car le groupe reste méconnu, mais aussi puisqu’il est à l’image des goûts de Pierre Avril en matière de musique : très « touche-à-tout » ! Saluons l’effort, même si malheureusement, faute de questions pertinentes, le lecteur curieux restera sur sa faim et en apprendra certainement plus dans l’interview menée en 2016 par… Dayal Patterson [13], encore une fois.

Critique de fond de l’ouvrage

Je le disais plus haut, ce livre n’a pas vraiment de colonne vertébrale. Si logique générale il y a (première vague, puis seconde, puis mainstream), au sein de ces axes, les liens comme les développements n’ont pas toujours de sens ! Rassurez-vous, les classiques des différents foyers y figurent de manière conventionnelle, sans oublis (Venom, Bathory, Celtic Frost, Samael, Blasphemy, les débuts du Thrash allemand, brésilien, américain…, même Sabbat est cité !), mais certains groupes sont abordés de manière étrange, presque par-dessus la jambe ! Prenons l’exemple de Rotting Christ. Celui-ci figure dans la partie Kyrie car « nés durant la première vague ». Pourtant Mayhem est né encore plus tôt, en 84 ! C’est donc un argument bancal, d’autant que RC devient important au début de la seconde vague seulement. Mais c’est pire ensuite, car Pierre Avril en profite, dans le même chapitre, pour parler de Varathron « avec qui on les compare en permanence », déroulant la discographie jusqu’en 2009, soit largement après la première vague ! Rotting Christ, lui, n’a même pas voix au chapitre au-delà de 1993 alors que son impact est bien supérieur, allez comprendre… Sachez au passage que Varathron garde « les deux pieds [sic] dans le heavy traditionnel » (p. 54), serait-ce du pur Heavy ? Pas sûr, car le groupe a créé « son propre style de black metal » (vraiment ?). Loin d’en rester à une contradiction près, l’auteur ajoute : « chacun en a sa définition et cela contribue à la richesse et à la beauté du style », le fameux relativisme, encore et toujours ! Les chiens sont des chats s’ils veulent, et je suis la reine d’Angleterre. Blague à part, ce simple exemple illustre les difficultés récurrentes de Pierre Avril à parler de musique. Ses propos sont souvent décousus, abscons, voire gênants, et ses développements peu pertinents. A sa décharge, parler de musique est un exercice plus difficile qu’il n’y parait, mais c’est précisément ce qu’on attend d’un connaisseur avec de l’expérience ! Esprit brouillon oblige, ses transitions sont souvent brutales, comme s’il se dépêchait de passer au groupe suivant pour pouvoir parler de tout ! La lecture n’en est que plus perturbée au fil des pages.

La partie « deuxième vague » démarre évidemment très fort avec les groupes suivants, dans cet ordre : Mayhem, Burzum, Darkthrone, Emperor, Immortal, et Treblinka, le pré-Tiamat (parce que « pourquoi pas ? »), toujours en déroulant chaque discographie de manière bancale, avec un enthousiasme excessif et imprécis (« musicalement parfait »), faisant preuve de peu de profondeur avec des anecdotes archi-connues et mal racontées, au point que les pages Wikipédia respectives paraissent à la lecture plus agréable à lire… et plus fournies en informations ! Libres de droit au passage (« tips » pour ses prochains livres). L’auteur déroule la deuxième vague avec Impaled Nazarene, passe du coq à l’âne avec la discographie de Graveland (« pourquoi pas ») et toujours sans transition avec Marduk ! La logique ? Ne cherchez pas, c’est subjectif. Le BM n’existe pas de toute façon. Avec un peu plus de logique (suédois et brutal), les discographies de Dark Funeral et Setherial sont abordées, chronologiquement et de manière inintéressante au possible. En effet, le problème de la rédaction dans l’ordre chronologique des sorties, c’est qu’elle occulte une bonne partie de l’histoire du groupe. Par exemple, en parlant de Vempire… avant Dusk… dans la partie dédiée à Cradle of Filth, Pierre Avril masque le fait que ce dernier a été composé avant l’EP, dans des conditions radicalement différentes ! Qu’il en existe même deux versions ! Il oublie aussi de parler de la mésentente entre Cacophonous et le groupe, ceci expliquant cela. Bref, en ne suivant que les sorties comme un auditeur lambda le ferait, on ne comprend pas grand-chose. On reste en surface, on reste un outsider. D’ailleurs, quand l’inspiration vient à manquer pour développer son propos, que fait Pierre Avril ? Il recopie textuellement ses propres chroniques passées ! Comme à la page 79 pour parler du Daemon de Mayhem, ou à la page 25 pour The Return… de Bathory. Quelle autre source que Pierre Avril pour parler de BM ? Pierre Avril ? Bonne idée ! Ça évitera les problèmes de droit d’auteur !

Toujours sans queue ni tête, l’auteur aborde le cas Dissection (incontournable) de manière soporifique au possible pour ensuite partir aux US avec Absu (« pourquoi pas »), et retourne aussi vite en Europe avec Gorgoroth et Hades, ce dernier étant soi-disant injustement « oublié » par tout le monde selon l’auteur, alors que ce n’est pas le cas du tout. Dayal Patterson les a interviewé pour son ouvrage majeur [14], et leur album classique sorti en 1997, The Dawn of the Dying Sun (dont Pierre Avril parle peu), est régulièrement réédité (en 1999, 2010, 2011, 2014, 2017, 2019 pour être précis). Le Scribe reconnaît de toute façon que « Hades sera considéré comme un groupe culte », de fait, où est l’injustice évoquée ? Ne pas vendre comme Slipknot ? Croyez-le ou non, mais il a réellement osé cette comparaison à ce moment-là ! « On dirait bien que depuis quelque temps les mots ne veulent plus dire grand-chose » ajoutera-t-il juste après, on ne peut qu’être d’accord avec lui ! Bien sûr, aucune trace d’autres acteurs plus importants comme Satyricon, Enslaved, Ulver ou Carpathian Forest, faute de place certainement. Comme il l’avertissait en page 58 : « Évidemment, de nombreux autres formations auraient trouvé leur place ici, mais one ne peut décemment pas parler de tout le monde [NDR : j’ai volontairement gardé les fautes, car oui, la relecture de l’ouvrage laisse à désirer…] ». Certes, il a raison sur ce point, mais doit-on pour autant rester aussi approximatif sur certains classiques, et donner la parole à des groupes de cinquième zone dont tout le monde se fout ? Pas sûr non plus. Dayal Patterson avait un peu ce travers d’ailleurs (une critique légitime de son travail) : mélanger les icônes et les groupes foncièrement secondaires. Sauf qu’ici, Pierre Avril le fait avec la certitude du béotien ! Effet Dunning-Kruger oblige.

Son savoir se résume au final à des informations amplement trouvables par quiconque aujourd’hui. Et pourtant, il lui arrive de se tromper fréquemment tout du long : non, Sarcofago n’est pas l’initiateur du corpsepaint (p. 17). De même, à aucun moment Samael ne s’écrit « Samaël » (la faute est permanente), Transilvanian Hunger est parfois écrit avec un « y », faute de profane s’il en est (comme écrire Metal avec un accent), et derrière la première version de cet album, il n’est pas écrit « True Norwegian Arisk Black Metal » (comme affirmé p. 91 et p. 94), mais bien évidemment « Norsk Arisk Black Metal » ! S’il ne possède pas cette version, l’information reste aisément trouvable sur le net. Certes, une faute d’inattention arrive à tout le monde, tout ceci relève peut-être du détail, mais le caractère récurent de ces « approximations » (appelons-ça comme ça) donne en permanence l’impression de lire une personne complètement extérieure à son sujet d’étude. Je peux en effet continuer longtemps les approximations : c’est une erreur d’écrire Deathlike Silence « Records » (p. 83), Dunkelheit ne signifie pas « Sombre lumière » (p. 86) mais « Ténèbres » (en fait la traduction de Burzum en Allemand !), de la même manière que Stormblåst ne signifie pas juste « Tempête » (p. 180), quant à Behemoth, leur premier EP And The Forests Dream Eternally n’est pas du tout sorti en 1995 pour « faire patienter les fans entre deux albums » (p. 192) mais parce que le label italien Entropy Productions (qui a vite disparu) s’est juste tourné les pouces ! Nergal s’en est plaint à divers endroits, dans ses livrets par exemple, et un fan attentif aura en effet remarqué que l’enregistrement de cet EP (été 94) précède de quelques mois leur premier album (décembre 94). Bref, la liste pourrait s’étendre encore, car le manque de précision est permanent chez Pierre Avril. C’est aussi l’impression que laisse la lecture de son blog et certaines de ses questions en interview dans le livre. En réalité, quelqu’un baignant depuis des années dans le style remarque ces fautes au premier regard, preuve d’un manque de compétence générale.

Ces développements approximatifs sont à l’image des diverses « réflexions » tout au long de l’ouvrage. Globalement absentes, elles ne volent pas très haut une fois posées. Un simple exemple à la page 91 suffit pour le comprendre : « Ce qui me permet de refaire un point sur mon hypothèse initiale : le black metal a toujours été multiple. Quel rapport entre le Mayhem de 94, ce Burzum là, le Darkthrone […] ou le Worship Him de Samaël ? Le seul rapport ? Il s’agit de black metal, mais il serait fabuleusement hérétique de dire que ces disques séminaux reposent sur les mêmes bases musicales (ou même thématiques). » En dehors de la lourdeur de l’écriture, on voit bien que la réflexion personnelle de l’auteur est absente : découvrir après tout le monde que le Black Metal repose sur plusieurs piliers distincts, que ceux-ci ne sonnent pas tous pareils, ce n’est pas de la réflexion, c’est de la bêtise ! C’est comme relever avec stupeur que le Heavy Metal ne repose pas uniquement sur Black Sabbath ! Néanmoins, il a raison sur un point et devrait aller au bout de sa pensée : la question de la définition du « son » Black Metal est importante à poser ! Quel est le noyau dur du style ? Pour les intéressés, il est intéressant de lire le méthodique travail d’analyse musicale de Bérenger Hainaut sur le sujet [15], où les réponses sont éclairantes et où il n’y a, pour le coup, pas la moindre trace de subjectivité mal placée !

Revenons sur une autre de ses « réflexions » pour bien comprendre que cela relève plus souvent de l’aberration logique qu’autre chose. Pour Pierre Avril, « on ne peut pas délimiter un territoire pour dire où se niche et où s’est niché le black metal. Toute l’Europe a participé à la contamination macabre, mais aussi les Etats-Unis, l’Amérique du Sud, l’Asie, jusqu’à l’Afrique. Aucune terre n’a été épargnée par le typhon black metal ». Toutes les terres, peut-être (et encore), mais certainement pas dans les mêmes proportions ! Pour un groupe sud-américain, combien existe-t-il de groupes européens ? Et rapporté à la population ? Un simple calcul de proportion, un simple regard sur le référencement des groupes sur Metal Archives par exemple – notez que ce travail a déjà été fait à plusieurs endroits sur le net [16] – montre la domination écrasante de l’Europe sur le reste du monde en matière de Black Metal ! Ce sont des données tangibles et faciles à retrouver. Tout ceci montre bien que le travail n’a pas été fait jusqu’au bout, et surtout que Pierre Avril connaît assez mal son sujet d’étude, sinon il ne conclurait pas son livre sur une telle énormité.

Conclusion

En résumé, Pierre Avril ne défend ici ni une « thèse », c’est-à-dire un point de vue original ou novateur sur un sujet donné et souvent connu, afin de faire progresser la connaissance, ni ne propose un travail de synthèse sérieux sur un domaine aujourd’hui connu et sourcé (le Black Metal). En réalité, Pierre Avril ne fait que « poser le décor », de manière lacunaire et maladroite, pour ses publications futures sur le BM français, le post-black Metal et le Metal expérimental. Accessoirement, il parle de lui, sans que le lecteur puisse en retirer un quelconque intérêt. En plus du caractère approximatif de cet ouvrage, parfois contraire à la réalité, l’utilisation du « je » reste problématique, il est à bannir pour ce type d’essai, surtout lorsque la personne est un illustre inconnu au sein de la scène. Néanmoins, pour ne pas descendre complètement l’effort, il est nécessaire de dire que la démarche synthétique reste louable et le tri des groupes convenable. Il faut reconnaitre qu’il est plus rapide de lire ce livre que tous les écrits de Patterson sur le même sujet ! Est-ce malgré tout une bonne synthèse ? Certainement pas, pour les raisons évoquées ci-dessus. Espérons que les défauts du premier livre ne seront plus dans les tomes suivants !

L’ambition de l’auteur étant affichée, espérons que les suites verront tous le jour. On attend toujours celui d’Alexandre Guudrath sur le Black Français, annoncé pourtant depuis 2014… [17]. Pierre Avril a néanmoins bien fait d’annoncer son « plan de travail » pour la suite, car le livre aurait eu un autre (gros) défaut : aucun groupe français n’y est mentionné ! Certes, les premiers groupes de BM français arrivent tardivement, vers 91/92 (Gorgon, Mutiilation, Sus scrofa, Prophecy, etc.), mais certains, même formés plus tardivement, ont marqués la 2e vague de manière indélébile (on pense évidemment à Blut Aus Nord, Antaeus, Deathspell Omega, Osculum Infame, Seth, etc.). On peut effectivement penser qu’il garde tout ce travail pour plus tard, mais c’est néanmoins dommage d’introduire un genre et de ne même pas parler d’un pays qui, objectivement (!), lui a donné ses lettres de noblesse. Gageons que le manque sera comblé dans le tome exclusivement consacré à cette scène-là, un travail encore inédit ! Rappelons-le.

Pour finir, un petit mot sur l’éditeur, Éditions des Flammes Noires, mené par Emilien Nohaic, ancien traducteur pour Camion Blanc. Il fait certes un très bon travail de traduction et de diffusion d’œuvres importantes dans la musique Metal (je pense aux biographies de Rotting Christ et de Mayhem), mais la direction éditoriale peine pour l’instant à convaincre, précisément avec ce genre d’ouvrage. C’est aussi le rôle d’un éditeur de trier le bon grain de l’ivraie, d’avoir une ligne éditoriale solide, de ne pas dire amen au premier écrivain venu sous prétexte que celui-ci serait le premier à écrire sur un sujet donné. C’est ce qui a fait de Camion Blanc un éditeur médiocre aux yeux de beaucoup de ses lecteurs : le niveau moyen des sorties, en plus d’un travail de traduction « aléatoire » et d’un effort de mise en page proche de zéro. Les Flammes Noires évitent fort heureusement ces deux derniers points, on ose espérer qu’ils trieront mieux leurs auteurs par la suite. Même si nous avons encore quatre tomes de Pierre Avril à « encaisser », l’avenir nous dira si le niveau monte. A leur corps défendant, le marché français des livres Metal n’est pas le plus facile à prendre ni à convaincre, loin de là !

Sources

[1] Voir le forum White Metal For Christ (WM4C), dédiés au Metal chrétien, sa présentation est encore en ligne : <https://wm4c.forumactif.com/t286-je-me-presente>. Consulté le 20/06/2021.

[2] Brève introduction au black metal underground – Le Bien Commun N°11 – octobre 2019.

[3] Fiche artiste « Pierre Avril » sur Metal Archives : <https://www.metal-archives.com/artists/Pierre_Avril/530719>. Consulté le 20/06/2021.

[4] Interview dans Metallian n°124, mai et juin 2021, p. 75.

[5] Chronique sur le site Les Eternels : « Cagoule – Effondrement De La Normalité » publiée le 22 septembre 2020 : <http://leseternels.net/chronique.aspx?id=18440>. Consulté le 20/06/2021.

[6] Interview de Pierre Avril pour son livre «  Punk et Metal : Les liaisons Dangereuses » le 7 février 2017 : <https://www.hornsup.fr/a-17296/interviews/punk-et-metal-les-liaisons-dangereuses-1>. Consulté le 20/06/2021.

[7] Alexandre Guudrath « Anthologie du Black Metal », Camion Blanc, 2012, Tome 1 de 603 p., Tome 2 de 635 p.

[8] Metal’Art n°8 « Art et Culture », pp.87-88, Avril 2021. <https://themetalart.eu>.

[9] Voir la partie Ouvrages de ce site : <https://bibliographiedublackmetal.fr/livres-2>

[10] Frederick Martin, « Eunolie : Légendes du black metal », MF, 2009, 278 p.

[11] Tero Ikäheimonen « The Devil’s Cradle – The Story Of Finnish Black Metal », Svart Publishing, 2017, 560 p.

[12] Daniel Lake « USBM – A Revolution of identity in American black metal », Decibel Books, 2020, 544 p.

[13] Dayal Patterson, « Cult Never Dies – The Mega Zine », Cult Never Dies, 2016, 268 p.

[14] Dayal Patterson, « Black Metal – Prelude To The Cult », Cult Never Dies, 2013, 64 p.

[15] Bérenger Hainaut, « Le Style Black Metal », Aedam Musicae, 2017, 376

[16] Voir par exemple le fil Reddit nommé « Density map and bar chart of Black Metal bands per country/region » : <https://www.reddit.com/r/BlackMetal/comments/fwjstn/density_map_and_bar_chart_of_black_metal_bands>. Consulté le 20/06/2021.

[17] Message daté du 2 novembre 2014 sur le blog de l’auteur : <http://lavoixdesombres.canalblog.com>. Consulté le 20/06/2021.

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